Refije & Hasan, un savoir et un jardin abondants
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Elona, notre hôte engagée de la Ferma Grand Albanik (lire notre brève: Ferma Grand Albanik, un catalyseur au service de la région), nous a fait le cadeau de nous présenter un couple de maraîchers albanais, Refije et Hasan, ses amis et mentors. Après une journée de travail très chargée et sachant que nous partirons très tôt le lendemain, Elona prend le temps de nous y emmener après son service, vers 20h30. Nous sommes tellement reconnaissants de pouvoir échanger avec des cultivateurs albanais et heureux d’avoir notre interprète préférée avec nous!
Nous arrivons chez Refije & Hassan à la tombée de la nuit. Nous entrons dans un jardin d’Eden, frais, où chaque recoin de terre accueille une plante ou un arbre.
Hasan et Refije qui travaillent leur jardin toujours ensemble, s’empressent de nous emmener découvrir leur richesse. Avec nos flash et les petites lampes des téléphones, nous admirons un jardin parfaitement organisé, embaumant toutes sortes d’odeur et opulent.
Ici, rien n’est traité. L’association de plantes est utilisée pour que les plantes se renforcent les unes les autres. La biodiversité fait le reste. Devant les patates, nous apercevons quelques doryphores qui se nourrissent des feuilles. Hasan et Refije ne s’en émeuvent pas. Les oiseaux feront leur travail. Permaculture, symbiose, compost organique, sélection des semences, système d’irrigation, agroforesterie… toutes les techniques culturales aujourd’hui enseignées par de jeunes ingénieurs bardés de diplômes, n’ont pas de secret pour ce couple de paysans. Par l’expérience, les erreurs et l’observation, ils sont d’éminents experts d’une agriculture durable.
Avec quelques moutons et ce jardin, Refije et Hasan sont autonomes. Sucre, sel, café sont achetés dans le commerce, pour le reste, c’est l’abondance. Tellement, qu’ils parviennent à écouler et vendre les surplus.
Après cette visite enchanteresse, nous sommes invités à trinquer (Le raki: d’abord mûre et puis prune- distillation maison, un alcool précieux qui rend la conversation joyeuse, le raki, c’est la spécialité d’Hasan) et à partager une petite causerie.
Heureux d’avoir la meilleure traductrice sous la main, nous enchaînons les questions les unes après les autres. Patiemment et sans tabou, ils ont abordé tous les sujets, à la manière de grands philosophes.
Tous deux conducteurs de tracteurs agricoles pendant le communisme, ils se sont rencontrés dans les champs. Elle avait 17 ans, lui 27 ans. Ils ont ensuite construit leur vie ensemble, en se concertant sur tout. Ils ont par exemple décider de n’avoir que trois enfants (contre des familles d’une dizaine d’enfants en général à cette époque). » C’est comme les patates, si tu en as trop, tu auras forcément des ratés! Mieux vaut avoir moins de plantes mais quelques uns de grande qualité » disent-ils en rigolant.
Le bien-être des enfants, c’est le rêve de Refije. Elle est heureuse de l’avoir réalisé. Son fils et ses deux filles ont un bon travail. « Avoir un travail qui leur plaît et les satisfait plus que de chercher à avoir beaucoup d’argent! ». Le travail est la valeur centrale de ce couple aux mains de fer, ridées, grosses et fortes, capable de tout faire. A 78 ans, leurs très jeunes bras musclés apparaissent sous leur manches courtes. Dynamiques, droits, vaillants, ils travaillent du lever du jour à la tombée de la nuit, nous confiera Elona.
La valeur travail, nous confient-t-ils, était plus présente et forte pendant le communisme. « Les travaux au service de la communauté étaient bien organisés et utiles. De grandes et belles choses ont été réalisées à cette époque: les nombreux réservoirs, des villages entiers construits pour les paysans, un grand soin à l’environnement avec des plantations d’arbres sur des pans entiers de certaines vallées, les travaux des champs soulagés par la force de l’ensemble. Et les femmes avaient de belles opportunités professionnelles« , comme Refije qui pu apprendre le métier de conductrice de tracteur agricole. Le fléau aujourd’hui, selon Refije, est de croire que l’argent tombe du ciel. Elle est très claire avec ses compatriotes partis en Europe de l’ouest chercher du travail: « Il faut tous les renvoyer en Albanie, il y a tout ici, nous avons beaucoup de terre, il y a beaucoup de travail!« .
Ils sont donc très fières de la trajectoire et du travail d’Elona. « C’est une grande travailleuse, une très brave personne, qui travaille pour nous. Son combat contre la barrage est exemplaire. Nous espérons que notre vallée deviendra un parc national!« .
Fins connaisseurs de leur environnement, ils se soignent avec les plantes de la région. Nous leur montrons nos quelques découvertes sur notre téléphone, et émerveillements botaniques rencontrés au gré de nos ballades dans la montagne qui fait face à la maison du couple. Ils les reconnaissent toutes et nous expliquent à quelles fins ils s’en servent. Refije et Hasan possède une connaissance gigantesque acquise par l’expérience. Ils n’ont pas le temps de regarder la TV. Leur optimisme et leur joie de vivre vient de leur travail au quotidien, des bienfaits que leur offre leur terre et la vie ici. Ils ne sont pas pollués par les mauvaises nouvelles du monde. Ils sont bien entendu au courant des grands crises du monde, mais n’ont pas le temps de s’y arrêter, ils ont tant à faire chaque jour!
Nous leur demandons s’ils consignent leur savoir. Ils nous disent tout avoir dans leurs têtes. Ils seraient heureux que quelqu’un puissent transcrire leur connaissance. Nous repartons de chez Hasan et Refije avec l’unique envie d’y revenir pour passer de nombreuses heures avec eux, pourquoi pas pour mettre sur papier leur savoir?
Les rencontres courtes imposent parfois une certaine profondeur dans l’échange, il y a comme une urgence à partager, à se rencontrer. Les mains caleuses de Philippe, tout de suite remarquées par Hasan et Refije, ont certainement permis un échange authentique, puissant et profond. Ce petit texte ne donne que quelques éléments de ce moment chaleureux, philosophe, généreux, joyeux. Nous espérons en donner ici quelques pépites.
Nous avons souvent parlé dans notre blog des jeunes, comme porteurs d’espoir. Ces jeunes utopistes le sont peut être devenus au contact de personnes comme Hasan et Refije.
Un immense merci à eux deux pour le raki qui a subtilement ouvert notre cœur et notre esprit, pour leur temps, leur optimisme, les délicieux concombres que nous avons savouré comme un soulagement bienfaiteur lors de notre périple le lendemain, sur une route de pierres, impraticables sur un vélo et sous un soleil de plomb.
Et merci à Elona de savoir mettre en lumière des gens extraordinaires.
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