Jibril, ouvrier agricole, sous contrat de travail, recevra le Saint Graal de l’Espagne, si son patron le veut bien.

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A El Ejido, épicentre des cutures sous serres, une laverie automatique se trouve à côté de notre hôtel. Après deux semaines de périple, nous en profitons pour faire notre lessive. Arrive un monsieur qui, de toute évidence ne maîtrise ni la machine à laver ni le séchoir. Je lui offre volontiers mon aide. Le programme dure 30 minutes et en attendant, j’entame la discussion avec lui. Jibril parle espagnol et anglais, il vient de Gambie. Il se livre très spontanément:

En quête d’une vie meilleure, Jibril a quitté la Gambie il y 9 ans. Il arrivera tout d’abord en Libye. C’est là qu’il devra récolter un peu d’argent pour payer la traversée Lybie-Italie en zodiac. Il décroche un petit job dans la construction. Il travaille dur pendant une année et parviendra à récolter la somme d’argent assurant son passage. Il s’installera près de Naples tout en rejoignant des amis. Il est pris en charge par des associations, apprend un peu l’italien, intègre un club de football. Il se sent bien en Italie mais après deux ans et demi sans réponse, toujours sans-papier et sans emploi, il décide de poursuive sa route. Un ami lui parle d’El Ejido en Epagne. Les passages des frontières entre l’Italie, la France et l’Espagne sont très risqués et il s’y prend à plusieurs reprises.

Arrivés à El Ejido, il cherche du travail. Il débute dans les serres en tant que journalier et, pendant plusieurs mois, attend un employeur potentiel tous les matins, à 6h00, sur les ronds points. Très vite, un patron le remarque. Djibril travaille bien et est fiable. Le boss lui renouvelle des contrats de travail tous les 5 mois. Djibril est fier et content de travailler à la production de poivrons (pimientos). Il travaille 5 jours par semaine, 8 heures par jour, pour 5 euros de l’heure. (La convention collective du travail agricole de la province d’Alméria prévoit 5.84 euros par heure. Le Sindicato de obreros del campio y del medio rural se bat, depuis plusieurs années à l’amélioration des conditions des travailleurs qui sont largement été décriées depuis plusieurs années et décrites par de nombreux journalistes comme une forme d’esclavage moderne). Il se plaint de ce salaire mais apprécie néanmoins son travail et son boss. Il est fier et me montre des photos de sa belle dernière récolte. Il m’explique que l’eau provient de la mer, qu’elle est désalanisée et traitée pendant 40 minutes avec des produits chimiques. Il me dit que cette eau est non potable mais bonne pour l’arrosage. Lors des traitements, il porte un scaphandre et un masque spécial. Lorsqu’il rentre chez lui, il boit du lait pour éviter les méfaits des produits chimiques sur son organisme. Puis il cuisine avec plaisir les quelques légumes cultivés et rapportés à la maison. Les mêmes que nous trouvons dans toutes nos grandes surfaces en hiver…

Il vit dans un appartement, avec deux amis, chacun dans une chambre. La vie sociale et par contre très différente qu’en Italie. Ici, chaque communauté vit en autarcie, sans vraiment de contact avec les autres. Les petites villes périphériques à El Ejido et Alméria, hébergent la main d’œuvre, ambiance marocaine, boucherie Alal, petits commerces arabes. Plus loin, comme à Castell De Ferro, les communautés roumaines sont bien implantées. Dans d’autres quartiers ou villages, un ambiance d’Amérique du Sud. Les espagnols sont en majorité dans les villages touristiques et les grandes villes. Djibril ne sort pas. Il dit qu’il n’existe pas de vraiment de lieu de rencontres où il se sente accueilli et à l’aise. Il n’a pas trouvé de club de foot où jouer. A 36 ans n’a ni petite amie, ni enfant.

Lors de notre discussion, Djibril est sous contrat depuis près de 3 ans. Si le patron tient sa promesse, l’Etat pourrait donner à Djibril le droit de résidence (Résidence par enracinement) ce qui lui ouvrirait les portes de toute l’Europe. Ses amis lui ont dit qu’en Allemagne ou en Angleterre, les jobs sont mieux payés et qu’il existe des associations de soutien et de formation. Jibril parle plusieurs langues mais il est analphabète, d’où son empruntement à faire fonctionner la laverie self-service dont les instructions sont uniquement en espagnol. Il espère qu’il pourra prendre des cours bientôt, pour obtenir un meilleur job et se marier.

Ce droit de résidence par enracinement pour les personnes ne provenant pas de la communauté européenne est très spécifique à l’Espagne. En comparaison avec les autres pays d’Europe ou avec la Suisse, cette option est relativement « facile » et « rapide », un contrat et un bail de 3 ans suffisant. En Suisse par exemple, le délai pour faire une demande de ce type est de 5 ans (et non de 3) et doit être accompagné d’un dossier complet comprenant: contrat, bail, plusieurs lettres de recommandations de personnes suisses, des attestations attestant d’activités bénévoles, un casier judiciaire vierge, un document démontrant l’absence de dette, un certificat attestant le niveau B2 en français. Le dossier est ensuite analysé par la police des étrangers, le conseiller d’état et enfin la confédération. Un dossier complet et répondant à tous les critères ne donnent pas automatiquement droit à une réponse positive, l’analyse de l’intégration sociale pouvant est plus subjective que l’analyse de l’intégration économique telle que pratiquée en Espagne.

La sonnerie du séchoir a sonné. Nous avons terminé nos lessives. Nous nous sommes mutuellement remercié pour ce temps chaleureux et généreux. J’ai souhaité bonne chance à Djbril.

2 réponses

  1. Wouaho merci beaucoup du partage l’histoire de Jibril est touchante. C’est cool d’avoir pris le temps de l’aider de l’écouter parfois les migrants ne partagent pas leur difficulté avec leur famille rester en Afrique. Juste en parler à quelqu’un soulage

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