Arborea, Mussolini, son lait
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A la recherche d’un hébergement « agroturismo » dans la région d’Oristano pour préparer les rencontres en Sicile et faire une halte bien méritée, nous avons rendez-vous dans la campagne jouxtant Arborea, dans une ancienne ferme reconvertie en gîte et restaurant, « Il Mimose ». Nous sommes curieux de découvrir la région. En cherchant notre hébergement sur la carte, nous observons des dizaines de parcelles de terrain, toutes identiques et quadrillant très systématiquement tout le bord de mer. Les noms de rue sont simples et efficaces: Strada 1 ovest à strada 30 ovest (rue 1 ouest à 30 ouest) ouest.
Nous découvrons que ce village fut construit pendant la période fasciste dans le cadre des politiques de « bonification agricole et sociale ». Mussolini a en effet fait construire 3 nouveaux villages (cf article: les villes nouvelles de Mussolini) en Sardaigne (et de nombreux autres sur le continent). Une vidéo de propagande décrit magnifiquement le projet: faire d’un marais considéré comme stérile (et dangereuse avec le palud et la malaria), une région de production agricole rentable, allant du maraîchage à l’élevage. Son premier nom fut Mussolinia modifié après la Seconde Guerre mondiale par son nom actuel. L’architecture d’Arborea détonne: « ce village situé au beau milieu des champs a conservé une structure régulière, caractéristiques des villes de la période fasciste, avec des édifices empreints d’un certain éclectisme : ses avenues bordées d’arbres et ses maisons à deux étages en Art nouveau ou néogothique sont donc immergées dans la verdure. Les édifices publics (l’école, un hôtel et la mairie) donnent sur la place Ausiliatrice, accueillant également l’église paroissiale construite elle en style tyrolien » (sardaigneturismo).
Notre hôte nous explique que toutes les grandes familles d’Arborea sont originaires de Vénétie. Son grand-père faisait d’ailleurs partie des premiers colons venus s’installer dans ce village pour y cultiver sur une des centaines de parcelles agricoles. La région a été très riche jusque dans les années 80 nous dit-il. Les terres fertiles et des techniques agricoles novatrices ont donné lieu à une production de fruits et légumes d’excellente qualité. La région s’est également rapidement spécialisée dans la production de laitage qui a participé à sa renommée.
Quelle agriculture aujourd’hui à Arborea?
A vélo, nous parcourons ces longues allées rectilignes et monotones. L’odeur y est forte, signe d’une concentration d’animaux.
Nous longeons des dizaines de champs de blé, désormais, ironie du sort, largement irrigués (la fondation Rockfeller avait financé d’importantes pulvérisations de DDT afin d’éradiquer le paludisme très présente à l’époque dans cette région humide). Au milieu de ces parcelles, des fermes concentrant des milliers de vaches laitières qui elles, ne verront jamais ces champs. Le modèle de production a évolué dans une visée ultra productiviste. Les 40’000 vaches sont nourries par le foin et l’ensilage que les 230 éleveurs (170 vaches par ferme) cultivent sur les parcelles adjacentes à chaque stabulation. (nous avons vu du blé fourrager auquel succèdera du maïs qui sera ensilé) 205 millions de litres de lait sont produits chaque année à Arborea ce qui représentent 80 % du lait de vache produit en Sardaigne.
Bien que ce système de production constitue la fierté des agriculteurs (cf cet article par exemple), on peut se demander si ce modèle, hérité de l’époque faciste mais poussé à son comble (les animaux vivaient en plein air en 1930, selon le film de propagande), a encore un sens aujourd’hui? Le modèle agricole de Mussolini a été pensé dans une temporalité de guerre, avec une visée d’autonomie alimentaire, à une époque où le lait était considéré comme un aliment doté de grandes qualités nutritives.
Aujourd’hui, a-t-ont besoin de si grandes quantités de lait pour nourrir la population? Et quelles sont les conséquences sur la santé d’une consommation de lait issu d’une agriculture productiviste en conventionnel? Des études ont démontré que le lait reflète en partie l’environnement de l’animal qui l’a produit. Dans un environnement pollué, le lait peut contenir certains polluants (radionucléides, éléments-traces métalliques, pesticides, etc.). En raison d’une teneur élevée en matière grasse, il peut notamment contenir certains polluants liposolubles tels que dioxines, furanes ou polychlorobiphényles (PCB) susceptibles de poser problème chez les consommateurs de lait, notamment chez l’enfant .
L’image buccolique de la Sardaigne que nous nous faisions, avec ses vaches en plein air, a été pour le moins égratignée par cette dure réalité agricole héritée d’un autre temps.
Arborea et son agriculture « décalée » nous laissera un arrière goût amer de la région.