Herboriste, alchimiste et shaman
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Le choc
Arriver chez Aldo Bongiovanni après 2700 kilomètres de vélos lourdement chargés, des côtes, des côtes, encore des côtes, c’est un peu arriver par le train à vapeur pour aller à l’école de sorciers de Pouldard dans Harry Potter. Aldo, long cheveux blancs, tel « Gandolf » vous fait entrer dans son antre dédiée à l’herboristerie, sous toutes ses formes. Son chalet englouti par la nature, construit en matériaux recyclés, irrégulier, bâti rebâti, est à l’image d’une nature qui bouge qui évolue qui grandi. Nous entrons dans un univers, une sensation rarement ressentie en 50 ans d’intérêt pour les plantes. Ici c’est la nature qui décide et on le ressent fortement. Devant la richesse des collections de plantes, devant les milliers de flacons, bouteilles, fioles, ustensiles de transformation, on se sent très petit, très ignare face à ces impressionnants murs de plantes transformées. Heureusement les étiquetages en italien-latin nous permettent de comprendre de quoi il retourne.
La valorisation totale des plantes
Si l’approche des tisanes nous paraît proche de notre activité, nous sommes par contre impressionnés par la multiplicité des extractions, des produits.
- Production de poudres condimentaires
- Production de rameau de condimentaire, mode sicilien (la mazzetta)
- Production de tisanes mix ou mono produit
- Macéras huileux à base d’huile d’olive
- Vins de plantes
- Huiles de massage
- Teintures alcoolisées
- Collyres
- Elixirs
- Extraits fermentés
- Fruits secs (amandes – pistaches)
- Fruits – agrumes
Tout est utilisé dans les plantes et aucune limite dans leur transformation. Une même plante sera ainsi partie d’une quinzaine de produits. Aldo travaille également des plantes sensibles comme les racines d’iris, la jusquiame, la belladone, sans oublier sa plante fétiche, la Mandragore qui se plait sous les ombres des pins bordant les chalets du domaine.
Les collections d’origans, de menthes, de sauges assurent une palette extraordinaire de chémotypes, autant de médications adaptées à différents types de pathologies. Le thymus capitano, endémique de Sicile, distille un parfum subtil au goût sauvage qui ne sera pas reproductible hors de l’île faute de climat comparable. Une pièce, un type de produit. L’atelier principal du maître se présente sous forme d’un bureau étroit entourés de centaines de flacons de tous formats qui sont mélangés, mixés au gré des demandes des clients, du calendrier des récoltes. Les macérations de 10 à 15 plantes sont régulièrement complétées par la saisonnalité des récoltes. Un élixir contient jusqu’à 150 plantes et nécessite 2 ans de macération. Les processus de récoltes, séchages sont très proches de nos convictions, approche pas forcément partagées par les industriels siciliens des condimentaires qui font sécher 24 heures en plein soleil sur champs les récoltes fraîchement coupées, ce qui leur fait perdre 50% de leur propriétés actives.
Le séchoir est un simple abris, protégé du soleil, ventilé naturellement, pas besoin de ventilation, la météo permet d’abaisser rapidement le niveau d’humidité des plantes récoltées qui sont stockées dans de grands sacs en papier recyclé des boulangers, idem à Mollens. Une machine destinée initialement à la minoterie des céréales est utilisée pour uniformiser les moutures de condiments ou la structure des tisanes.
La transmission du savoir sans mercantilisme
Transmettre, échanger, c’est le credo d’Aldo Bongiovanni, un déçu de la tournure des évènements mondiaux, de la ruine de la nature, de la malbouffe, du manque d’entrain des jeunes des gens à prendre leur vie en main. Entre l’ego et la victimisation il se distancie de ces deux fléaux (d’une même pièce) de notre humanité. Il est dès lors particulièrement prolixe pour répondre à nos questions sachant que la barrière de la langue s’estompe avec le langage international des plantes assuré par le latin. Telle Démosthène, Sophocle, le maître disserte au gré de l’actualité verte qui se déroule sous nos pas. Focus sur le rôle de la menthe dans la digestion, focus sur la synergie des trèfles et des légumes, digression sur les énergies, le shiatsu, les énergies cosmiques, on revient sur la graine de moutarde (semis, variété ancienne, posologie) et on repart sur les cétones…. Nous n’avons pas le temps de noter sur un petit calepin qui ne nous quitte plus, les recettes, indications, contre-indications, posologies, heureusement que nous avons une certaine pratique, débutants s’abstenir, le flux d’informations est dense. Esprit d’escalier, en partant d’une plante nous arrivons toujours à une approche holistique d’un traitement. Formatés par une médecine allopathique adepte des molécules brevetées à mono-spectre d’action, nous entrons véritablement dans les notions de Totum , des effets multiplicateurs dans l’association de plusieurs plantes. Culpabilisant d’utiliser en Suisse 7 à 9 plantes dans la composition d’une tisane, le maître va lui nous décomplexer en assemblant jusqu’à 20 composants d’un élixir, d’une macération pour remédier à des maux d’origine respiratoire par exemple. Tout au long des journées, il sort de sa veste gibecière, des micro-fioles de compositions qui nous permettent de nous relaxer, de nous concentrer, de régler mes problèmes intestinaux identifiés le jour de mon arrivée. C’est un passage direct de la théorie à la pratique en quelques secondes.
Herboriste c’est récolter, transformer, mais aussi multiplier, propager, redonner à la nature, replanter, autant d’actions que nous avons réalisées sur une semaine avec notre guide dans son magnifique domaine.
Goûter, humer, regarder, toucher, autant de gestes systématiques répétés tout au long de la journée. Dommage que nous soyons en vélo et à 8 mois du retour en Suisse, sinon sa générosité nous aurait rempli une camionnette d’échantillons de plantes, de graines, de racines, de solutions, c’est un crève-cœur de ne repartir avec quelques graines.
Patient, il répète volontiers les informations qui nous manquent et est heureux d’entendre d’autres approches pour traiter une question. Ces leçons en plein air, sans power point, sans polycopié sont une véritable bénédiction qui nous fait travailler notre mémoire, notre logique, notre réflexion, esprit de déduction. L’aspect pluridisciplinaire de l’enseignement est une des bases de l’approche holistique, cosmos, éléments issus de la ter, mythologie, théorie des signatures, approche variétale, processus de transformation, tout nous est offert en quelques minutes
Merci Aldo pour ta générosité, ta patience, la qualité de tes connaissances accumulées sur 40 ans d’expérience, jour après jour, au service des plantes, la semaine de 5 jours reste un concept très urbain. Merci de ta confiance dans le transfert de tes recettes précieuses.
Et l’alchimie dans tout cela, le shamanisme? Nous resterons discret sur ces approches holistiques qui semblent faire partie naturellement de l’approche d’Aldo. Nous retenons que le hasard n’existe pas, que le pouvoir des plantes est lié à un tout, que ce tout n’est pas forcément enseigné dans les écoles de la République. Croire en ce que l’on fait et ne pas avoir honte de demander de l’aide aux forces qui nous entoure. Rester humble, garder la joie de vivre, l’humour, l’amour, le plaisir de la découverte d’un bouton floral qui s’ouvre. Merci Aldo.
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